Nous étions dans les années 70 la semaine dernière avec le virage psychédélique/glam emprunté par la pop culture. Nous sommes à présent à la fin de la même décennie, décidément très riche pour la pop (art, musique, mode, état d’esprit, …).
1975, la période hippie, le rock à paillettes et le folk sont à leur apogée. Le rock se change en hard-rock mais pour le reste, la contestation et le nouveauté s’engluent.
Il est temps pour le punk d’exploser…
Mais parlons avant tout de reggae.
Sur une île bien loin de l’Angleterre, un mélange détonnant a abouti au reggae.
Le reggae, c’est à l’origine ceci :
« Le reggae est le fruit de nombreuses rencontres et de métissages : évolution du ska puis du rocksteady, il trouve ses racines dans les rythmes et musiques blanches coloniales qu’on faisait jouer aux esclaves (polka, mazurka, scottish, quadrille mais aussi musiques de types militaires , les musiques traditionnelles caribéennes (mento puis calypso), mais il est aussi très influencé par le Rhythm and blues, le jazz et la soul music .Le ska, le rocksteady et le reggae ont pris au mento le jeu à contretemps de la guitare rythmique, et aussi certaines chansons transformées »
— Linton Kwesi Johnson,
Entretien avec Bruno Blum (1994)
Mento:
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Et donc, vous allez me dire ? Quel rapport avec la choucroute ? Heu… avec le punk ? J’y arrive.
En 1977, le groupe punk The Clash reprend sur son 1er album la chanson de Junior Murvin « Police and thieves » (enregistrée en Jamaïque en 76). Le groupe rajoute une ligne en forme de clin d’oeil aux Ramones, l’un des 1ers groupes punks « We’re going through a tight wind ».
La version du Clash:
Le futur roi du reggae, Bob Marley de son côté ne manque pas de rendre hommage aux groupes punks – et à la « new wave » montante dans Punky reggae party:
« New wave, new wave, new raveWailers be there
The Dammed, The Jam, The Clash
Maytals will be there
Doctor Feelgood too, ooh
No boring old farts, no boring old farts, no boring old farts
Will be there »
Alors, punk et reggae, même combat ? Oui ou non ?
Ce n’est pas si simple.
Don Letts , rapporte ceci (sacré Bob, au passage) :
Were punk and reggae ever at odds? Or was there common ground from the start?
It’s easy to see what punk got out of the fusion: basslines, the anti-establishment stance, musical reportage. What reggae got in return was exposure. That was all it needed. But there were uneasy and suspicious bedfellows on reggae’s side.
I fell out with Bob Marley over punk. I had on some bondage trousers and he said to me, ‘Don Letts, whatcha dealin’ wit? You look like one of dem nasty punk rockers.’ I said, ‘Hold on a minute, these are my mates!’ He’d obviously been reading the tabloids, which portrayed punks negatively.
I didn’t tell him to fuck off but as a baby dread I held my ground. Later he was moved to write that song, ‘Punky Reggae Party’, which put reggae on the map. So I figure I got the last laugh.
(Don Letts interview)
Comme quoi, chacun avait des idées un peu arrêtées. Et la presse, surtout les tabloïds anglais, n’ont rien fait pour arranger l’image des punks. Mais ça, on le sait. C’est toujours plus facile de faire passer les gens pour des imbéciles violents (clichés) que de parler d’un mouvement artistique qui émerge (même s’il comprend aussi des imbéciles et des crétins violents parmi eux, évidemment).

T’as pas vu ma pop
Au milieu des années 70, le mouvement punk connaît son apogée (76/77 en Angleterre). Il est significatif de la culture pop en ce qu’il est l’héritier manifeste des sous-cultures qui l’ont précédé (Ramones, contest song, pop art, situationnisme). On ne manquera pas de remarquer qu’il laisse une influence notoire sur ce qui va suivre: mode, coiffure, musiques, art graphique,
Le punk anglais est singulier car non seulement engagé politiquement mais fortement métissé. On voit un mouvement urbain ( et blanc dans sa dominance) se mélanger à l’influence de la culture caribéenne, noire, chaloupée et religieuse.
Paul Simonon, le bassiste de Clash, a grandi dans la banlieue jamaïcaine de Londres (Brixton) et dit lui-même avoir principalement du reggae (il n’y a qu’à écouter la façon dont il fait sonner sa basse pour s’en apercevoir).
C’est d’ailleurs Paul Simonon qui chante ce titre très reggae du Clash:
Le reggae, pour les Jamaïcains, c’est la musique de la libération, la voix des esclaves un peu comme le tambour l’est pour les Antilles françaises : le gwo-ka guadeloupéen, la véritable musique de la Guadeloupe quand le zouk actuel n’est qu’un amusant air de danse ( je vous invite à faire connaissance avec ses rythmes ).
Les exilés jamaïcains emmènent dans leur bagages le son, la culture, la révolte, le rastafari .
Dans l’Angleterre de 1976, les émeutes de l’été à Notting Hill pendant lesquelles noirs et policiers se sont affrontés donnent cette idée à The Clash: que la jeunesse blanche se révolte aux côtés de la communauté noire !
Un hymne punk est né:
Chez les Sex Pistols, c’est John Lydon (Johnny Rotten) qui est un grand fan de reggae. Il part avec Don Letts en Jamaïque lors que le groupe se dissout. (ci-dessous, John Lydon ex-Sex Pistols, PIL, en Jamaïque):
A la fin des 70’s, la pop est devenue une sorte d’hybride en se métissant avec la soul, le rock, le punk, le reggae et voit la naissance de son prochain rejeton: le hip hop.
Les liens entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique sont faits, les codes vestimentaires se sont inspirés les uns de autres. La pop s’est inventé un look, elle devient une mode – fin prête pour les années 80 en vue. Affaire à suivre….
Malcolm McLaren et Vivienne Westwood – 1977
Pour aller plus loin:
- un article sur John Lydon en voyage en Jamaïque
- Interview de Don Letts
- Le documentaire The Story of Jamaican Music disponible sur Youtube en plusieurs parties
- Sur le punk en lui-même, une émission récente
- John Lydon à propos du punk
- D’actualité: Jacques Higelin pionnier punk (?) – j’ai un peu de mal avec cette affirmation, le punk français s’étant nourri d’autres sources
- Afro punk
- Punk et black music:
Afropunk :
« Afropunk est né pour donner de la visibilité à une diversité artistique que ne célébraient pas suffisamment les médias mainstream et rappeler que le rock puise justement ses racines dans les musiques produites par des Noirs. Cette réappropriation constitue une petite révolution au sens premier du terme : un retour aux inspirations originales de la musique « blanchie » par l’histoire. »