Ou ce que vous voudrez – Jo Walton

Ou ce que vous voudrez par Walton

Résumé : À soixante-treize ans, Sylvia Harrison est une autrice à succès ayant déjà publié plus d’une trentaine de romans. Le prochain se déroulera à Thalia, une cité qui ressemble beaucoup à Florence et qu’elle a imaginée pour la trilogie qui a lancé sa carrière. Afin de nourrir son inspiration, elle se rend en Italie et va, une nouvelle fois, faire appel à lui. Lui ? Il apparaît dans presque tous ses romans. Il a été dragon, voleur, guerrier et même dieu. Il est celui grâce à qui Sylvia a créé ses personnages les plus marquants. Celui à qui elle parle en son for intérieur depuis des décennies. Celui qui l’a sauvée, qu’elle a chassé, qu’elle a accueilli de nouveau. Celui qui s’éteindra avec elle, lorsqu’elle décédera. S’éteindre ? Ça, il ne peut l’accepter..

 

Il est temps pour moi de m’attaquer à cette chronique que je remets à plus tard depuis, facilement, plus d’une semaine, après une lecture qui n’a pas été, et je l’annonce tout de suite,  satisfaisante. Et pourtant je dois bien admettre que j’aime beaucoup Jo Walton, la personne rencontrée aux Utos de 2019 (où je n’étais pas malade, comme cette année), et surtout l’autrice, admirable, Mes vrais enfants (splendide), Morwenna, Les griffes et les crocs (oh, ces dragons victoriens!) et Pierre de vie. J’ai également commencé le cycle du Subtil changement. J’étais donc ravie d’avoir ce nouveau Jo Walton pour le dernier Masse critique Babelio, je me suis précipitée dessus et… j’ai été douchée.
Car Ou ce que vous voulez n’est pas un « vrai » roman. Bon, ce n’est pas grave. Cela pourrait être un essai littéraire ou des considérations sur l’Art et la ville de Florence, par exemple, peu importe.
En fait, non. Ce n’est pas ça non plus.
C’est un genre un peu hybride, mi-essai, mi-fiction, qui oscille entre les deux, donne dans la meta fiction. J’ai pensé à un moment à Possession d’AS Byatt, qui joue avec ces codes mais en fait, je me rends compte que Possession reste construit, même si labyrinthique, par rapport à Ou ce que vous voudrez.
Ici, Jo Walton se plaît à faire des allers-retours entre l’histoire qui se passe à Thalia racontée par le narrateur (l’ami imaginaire de l’autrice fictive, Sylvia qui n’est pas Jo Walton mais qui lui emprunte des ressemblances) et l’histoire de Sylvia, tout ceci entrecoupé par les réflexions du fameux narrateur. Si la construction était impeccable, cela ne serait pas gênant, au contraire. Mais ce n’est pas le cas.
Tout est assez confus, parfois un peu long…
Le souci, c’est qu’il y a des passages formidables, que les références littéraires sont formidables, que l’histoire se déroulant à Thalia pourrait être captivante mais que jamais on n’arrive à entrer dedans complètement.
Bref, c’est un exercice casse-gueule qu’a fait Jo Walton et… je dois bien dire que ce n’est pas très réussi.
J’ai noté des passages, des bribes, des phrases mais je dois être honnête : si l’exercice intellectuel me plaît, j’ai trouvé la construction assez maladroite et je me suis quand même ennuyée,  finissant le livre en lecture rapide (en diagonale — c’est toujours mauvais signe quand j’en arrive là).
Bien sûr,  y a de beaux moments, sur la processus de création, les relations fiction/réalité mais j’aurais aimé les lire dans un essai.
Bref, je ne le déconseille pas mais ce n’est peut-être pas une priorité. Autre chose : mieux vaut avoir des bases littéraires un brin solide ou se documenter en cours de route pour les personnes qui n’ont pas lu Shakespeare par exemple. D’ailleurs, je recommande vivement d’aller jeter un coup d’oeil du côté de « La Tempête » et de « La nuit des rois »  dont est tiré le titre  «  Or What You Will » (on retrouve un bon nombre de personnages des pièces).

 

 

 

Premières lignes — 9 novembre

Premières lignes 

Ginger Gold plia la lettre qu’elle lisait et la posa sur la desserte.
— Haley, croyez-vous aux fantômes ?
Sur le canapé de la salle de séjour de Hartigan House, Haley Higginns, étudiante américaine à la London School of Medicine for Women, se détendait  après le dîner en buvant son sherry à petites gorgées. Elle haussa un sourcil.
— Pourquoi ? Avez-vous reçu du courrier de l’au-delà ?

Deuxième tome  des aventures de Lady Ginger Gold, Le manoir des mauvais esprits est un parfait petit cosy mystery qui se déroule dans les années 1920. Pas de grosse difficulté dans l’intrigue mais le roman se lit bien. Et même si je n’avais pas lu le premier, je n’ai eu aucun mal à comprendre qui était qui.
Lady Gold, Ginger, est une jeune veuve anglaise qui, après avoir vécu longtemps aux USA, revient dans son pays au décès de son père (dans le tome 1). Ici, Ginger s’est installée et mène ses affaires en femme indépendante. Mais voilà que sa belle-soeur l’appelle à la rescousse car il semblerait qu’un poltergeist sème le trouble chez elle !
Bien sûr, les choses vont se compliquer et, à nouveau, Lady Gold va devoir enquêter sur un meurtre.
Les personnages sont tous bien dépeints ainsi que le côté historique. Comme je le disais, l’énigme n’est pas hyper complexe et on devine assez vite ce qui va se dérouler mais c’est une lecture agréable. En gros, j’ai passé  un bon moment même si je ne lirais pas que cela tout le temps non plus.

Résumé : Ginger Gold reçoit une lettre de sa belle-soeur lui demandant de venir toutes affaire cessantes à Bray Manor, la demeure familiale. A son arrivée, Ginger découvre qu’on lui a demandé son aide pour une affaire de… fantômes ! La comtesse douairière est persuadée qu’un mauvais esprit hante les lieux. Rien de bien méchant jusqu’à présent. Le « fantôme » se contente de voler des petits objets et de faire tourner en bourrique les invités de Bray Manor. Mais lorsqu’un bal est organisé en l’honneur des vétérans de la Grande Guerre et qu’un cadavre est découvert après la fête sur la piste de danse, tout change. Détective amateur, Ginger va devoir mener l’enquête et elle est bien persuadée d’une chose : le meurtrier n’est pas un revenant, mais bel et bien un être de chair et de sang..

 

Les enquêtes de Ginger Gold, tome 2 : Le manoir des mauvais esprits par Strauss

 

 

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Premières lignes – 25 octobre

 

Premières lignes

 » Les enfants jouaient pendant qu’Holston montait vers sa mort ; il les entendait crier comme seuls crient les enfants heureux. Alors que leurs courses folles tonnaient au-dessus de lui, Holston prenait son temps, et chacun de ses pas se faisait pesant, méthodique, tandis qu’il tournait et tournait dans le colimaçon, ses vieilles bottes sonnant contre les marches. « 

Je ne sais pas pourquoi Silo ne m’était pas passé entre les mains. Publié en 2012 (auparavant, en autoédition) puis en 2013 en France, fort de plus de 500 pages, il est suivi de deux autres tomes. Imaginez un peu : dans un futur post-apocalyptique ce qui subsiste de  l’humanité s’est retranchée sous terre dans des immenses silos , de 150 étages, hiérarchisés et organisés selon les niveaux  (maintenance, cultures hydroponiques, habitations, scolarité,  administration…). A la tête de tout cela, un maire est élu ainsi qu’un shérif pour maintenir l’ordre. L’Ordre, plutôt. Car rien n’est laissé au hasard : ni les naissances, ni les morts. Chaque personne est formée pour occuper une place. Enfreindre cet Ordre, c’est se retrouver condamné au nettoyage, c’est-à-dire, devoir sortir du silo, pour nettoyer les écrans qui donnent la vue sur l’extérieur. Une planète morte. Mais l’extérieur est-il bien réel ?
C’est ce que va découvrir Juliette, nouvelle shérif promue, qui a la particularité de chercher.. et de trouver !
Je n’ai pas vu le temps passer, à grimper et descendre les étages de ce silo immense, à suivre les différents personnages. La lecture est réellement prenante car la narration est bien construite (retours en arrière courts, bien placés ; points de vue bien trouvés).
Il n’y a pas d’incohérences flagrantes (évidemment que monter/descendre des étages prend du temps : on parle d’un très grand silo, pas d’un petit immeuble !). La tension est aussi bien dosée. En fait, j’ai très envie de découvrir les autres tomes.

Silo, tome 1 par Howey

Résumé : Dans un futur post-apocalyptique indéterminé, quelques milliers de survivants ont établi une société dans un silo souterrain de 144 étages. Les règles de vie sont strictes. Pour avoir le droit de faire un enfant, les couples doivent s’inscrire à une loterie. Mais les tickets de naissance des uns ne sont redistribués qu’en fonction de la mort des autres.
Les citoyens qui enfreignent la loi sont envoyés en dehors du silo pour y trouver la mort au contact d’un air toxique. Ces condamnés doivent, avant de mourir, nettoyer à l’aide d’un chiffon de laine les capteurs qui retransmettent des images de mauvaise qualité du monde extérieur sur un grand écran, à l’intérieur du silo.
Ces images rappellent aux survivants que ce monde est assassin. Mais certains commencent à penser que les dirigeants de cette société enfouie mentent sur ce qui se passe réellement dehors et doutent des raisons qui ont conduit ce monde à la ruine.

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Premières lignes — 13octobre

Premières lignes

 

C’est un polar assez original qui commence dans une université britannique, à Cambridge, plus précisément. Un étudiant trouve la mort en faisant une chute vertigineuse. Il se serait suicidé… Mais peut-être pas, finalement.
Or, il laisse derrière lui son perroquet, Gray, une créature à la langue bien pendue qui chante « Bad romance » de Lady Gaga à tue-tête. Ou crie des insanités, même pendant les moments les plus solennels.
L’un des professeurs de l’étudiant décédé hérite de Gray et va être amené à mener l’enquête. Malheureusement, ce n’est pas si simple, surtout quand lui-même lutte contre des TOC et crises d’angoisse. Mais le perroquet semble souffrir aussi de traumas ! A quoi a-t’il pu assister ? Déteint-il la clé de l’énigme ?
Avec Gray, Leonie Swann signe un roman policier qui se lit bien. Certains passages sont à se tordre de rire, forcément. Les personnages sont bien décrits, bien trouvés aussi. celui du professeur (Augustus) est particulièrement bien développé, tout en finesse.  Par contre, l’intrigue a tendance à tirer en longueur et on voit assez vite le coupable se dessiner vers la fin ainsi que la scène finale arriver. C’est assez inégal  mais le suspense reste présent.
Un assez bon cosy mystery, dans l’ensemble qui m’a fait bien rire par moments et avec suffisamment de suspense.

Gray par Swann

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Jusque dans la terre – Sue Rainsford

Premier roman d’une autrice irlandaise, Jusque dans la terre (Aux Forges de Vulcain) réussit le pari à mêler le sublime (passages poétiques) au plus sombre jusqu’à la limite du malaise, tout cela sur un fond gothique de récit initiatique.
Voyez plutôt : aux lisières d’un village, sans nom, sans époque, vit une jeune fille, Ada, avec son père (Père). Tous les deux nous apparaissent comme des sortes de guérisseurs très prisés des gens des alentours qui viennent les consulter pour toutes sortes de maux.
Ada et son père les appelle des « cures ». Je m’arrête et j’avoue qu’à cet instant du roman, j’ai eu une pensée pour The Cure dont quelques titres  m’ont accompagnée durant la lecture pour le côté cold/dark wave mais un vieux blues poisseux fait bien l’affaire.
Les « cures » sont donc des humains, contrairement à Ada et à son père qui bénéficient d’une longévité extraordinaire (Ada n’est pas réellement « une adolescente »), possèdent d’étranges pouvoirs de guérison en lien avec la terre. Sans parler du père qui a tout l’air d’un métamorphe (ours-garou ou je-ne-sais-quoi-garou).
Ada elle-même est née de la terre. Et la terre guérit… Mais elle est trompeuse et le père ne cesse de répéter à sa fille qu’il faut s’en méfier.
Il paraît détenir des tas de connaissances inconnues d’Ada (sur leurs origines, leurs « pouvoirs », ce que fait la terre) mais nous n’en saurons pas beaucoup plus puisque, tout du long, nous suivrons le point de vue d’Ada (et c’est tout l’intérêt d’avoir choisi ce point de vue). Il y a par moments, de courts passages exprimant les avis des habitant.e.s du village qui nous éclairent peu à peu sur les événements en cours.
Car Ada est tombée amoureuse de Samson. Or, Olivia, la soeur de celui-ci, paraît déterminée à saboter cette relation. Le père d’Ada aussi.
Tout reste dans le non-dit. On avance dans le récit, hésitant entre la curiosité et le malaise  ; quelques scènes de guérison s’apparentent à du body horror et pour ma part, ayant  de mal avec ça, j’ai lu en diagonale ces passages.
L’évolution d’Ada est fascinante tout au long du roman ; ses émotions, son isolement, sa compréhension ou non des humains, sa « monstruosité » qui n’en est peut-être pas une.
On réfléchit aussi sur le rapport à la différence, à la notion de monstre/humain, et à la condition de la femme puisqu’elles sont les plus nombreuses à venir se faire soigner.
Un roman qui interpelle, séduit, fascine de manière étrange mais est très bien maîtrisé de bout en bout (ce dénouement !).

Jusque dans la terre par Rainsford

Résumé : Ada vit avec son père dans une clairière, en bordure d’une forêt, non loin de la ville. Ils passent leur temps à soigner les habitants qui leur confient leurs maux et leurs corps, malgré la frayeur que ces deux êtres sauvages leur inspirent parfois. Un jour, Ada s’éprend de Samson, un de ces habitants. Cette passion, bien vite, suscite le dépit voire la colère du père de la jeune fille et de certains villageois. L’adolescente se retrouve déchirée par un conflit de loyauté entre son héritage vénéneux et cet élan destructeur qui l’emmène loin de tout ce qu’elle a connu.

Lu dans le cadre de Masse Critique Babelio 

Premières lignes – 5 octobre

 

Premières lignes

Il me fallait citer un large extrait de ce roman, tout simplement parce que l’écriture d‘Andreï Kourkov vaut le détour. J’ai lu Les abeilles grises par un concours de circonstances et j’ai été ravie de découvrir un auteur (que j’aurais dû lire depuis longtemps, mais, bien sûr, la pile à lire énorme, tout ça, tout ça…). Et puis, je dois le dire, j’ai parfois eu des déception avec la littérature slave (russe/ukrainienne) qui ne correspond pas toujours à ma sensibilité. J’y vais donc un peu comme on marcherait sur des oeufs, dorénavant.
Mais avec Les abeilles grises, on peut ouvrir le roman sans appréhension : l’humour côtoie les côtés les plus sombres et désespérés (il est question de guerre). Et la plume de Kourkov est succulente avec ce brin de décalage nécessaire.
Donc, ça parle de quoi ?
La première partie se déroule dans la zone grise du Donbass, une sorte de no man’s land que se disputent  les séparatistes ukrainiens pro-russes et l’armée ukrainienne gouvernementale. Les gens ont fui car régulièrement, des bombes tombent sur les habitations, des tirs se font entendre, il n’y a ni eau, ni électricité. Heu, vraiment ? En fait, dans le  village de Mala Starogradivka, abandonné,  deux habitants sont restés.  Sergueïtch, l’apiculteur,  et Pachka, proches de la cinquantaine et ex-ennemis d’enfance se côtoient et en viennent  à se serrer les coudes. Un jour, notre apiculteur prend la route pour la Crimée pour le bien de  ses abeilles. Commence une sorte de voyage drôle et décalé en Absurdie.
Les situations, les dialogues sont parfois dignes de Beckett (« En attendant Godot« ).  Il y  a aussi un peu de son illustre compatriote Boulgakov, (« Le maître et Marguerite« ) dans les Abeilles grises avec l’absurde et le cocasse (souvent mêlé de désespoir). 
Pourtant, le roman est aussi empli d’espoir, de beauté, de moments très touchants, de poésie (la nature quand Sergueïtch voyage avec ses abeilles). Les personnages qu’il croise au fil de son périple sont particulièrement succulents.

« La bouilloire chantait sur le poêle. On n’éteint pas un poêle comme une gazinière, aussi la bouilloire dût-elle continuer à chauffer pour rien jusqu’à ce que son propriétaire l’en ôtât, saisissant la poignée brûlante en usant d’un vieux torchon de cuisine pour se protéger la main. Il versa l’eau dans une tasse en faïence marquée du logo de l’opérateur de téléphonie mobile MTS, et l’agrémenta d’une pincée de thé. Puis il souleva du plancher un bocal d’un litre de miel qu’il posa sur la table.
« Je pourrais inviter Pachka », songea-t-il en bâillant. Avant de se dire : « Bah, je suis bien comme ça ! Je ne vais pas aller le chercher à l’autre bout du village ! »
Le fait que « l’autre bout du village » se trouvât tout au plus à quatre cents mètres de sa maison ne changeait rien à l’affaire.
Il n’avait pas achevé sa première tasse qu’une explosion retentit non loin. Les vitres tremblèrent avec un tintement à fendre les tympans.
« Ah ! les cons ! » lâcha-t-il avec amertume. Il reposa vivement la tasse sur la table, éclaboussant celle-ci de thé, et courut à la fenêtre la plus proche. Il vérifia qu’elle n’était pas fissurée. Non, intacte.
Il inspecta les autres fenêtres, toutes étaient sauves. Il réfléchit : ne devrait-il pas aller voir où ça avait pété, et si une maison voisine n’avait pas été touchée ? « 

Le lien entre l’apiculteur et ses abeilles, émouvant, constitue le fil conducteur (et non, je ne dirais pas pourquoi elles sont grises).

 

C’est un roman bien mené, lumineux, malgré le propos, qui ferait un film magnifique s’il était bien adapté…
Un roman qu’il faut lire.

Les abeilles grises par Kourkov

Résumé : Dans un petit village abandonné de la «zone grise», coincé entre armée ukrainienne et séparatistes prorusses, vivent deux laissés-pour-compte: Sergueïtch et Pachka. Désormais seuls habitants de ce no man’s land, ces ennemis d’enfance sont obligés de coopérer pour ne pas sombrer, et cela malgré des points de vue divergents vis-à-vis du conflit. Aux conditions de vie rudimentaires s’ajoute la monotonie des journées d’hiver, animées, pour Sergueïtch, de rêves visionnaires et de souvenirs. Apiculteur dévoué, il croit au pouvoir bénéfique de ses abeilles qui autrefois attirait des clients venus de loin pour dormir sur ses ruches lors de séances d’«apithérapie». Le printemps venu, Sergueïtch décide de leur chercher un endroit plus calme. Ayant chargé ses six ruches sur la remorque de sa vieille Tchetviorka, le voilà qui part à l’aventure. Mais même au milieu des douces prairies fleuries de l’Ukraine de l’ouest et du silence des montagnes de Crimée, l’œil de Moscou reste grand ouvert…

Premières lignes — 28 septembre

Premières lignes 

« Comme il remonte la Cinquième Avenue à minuit, Spofforth se met à siffler. Il ignore le nom de l’air, et il ne s’en soucie guère ; c’est un air air compliqué, un air qu’il siffle souvent lorsqu’il est seul. Il est torse nu et ne porte pas de chaussures ; il a pour unique vêtement un pantalon kaki. Il sent sous ses pieds la surface usée des vieux pavés. Bien qu’il avance en plein milieu de la vaste avenue, il distingue les hautes herbes et l’ivraie qui, de chaque côté, ont poussé aux endroits où les trottoirs, depuis longtemps fissurés et défoncés, attendent des réparations qui ne se feront jamais. »

A ne pas confondre avec le classique « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » (qu’il faut lire, d’ailleurs), L’oiseau moqueur, dystopie de Walter Tevis, l’auteur du Jeu de la dame est un très bon roman, qui rappelle par ses thèmes 1984, Farenheit 451 ou Le meilleur des mondes. On pensera également à la série des Robots d’Asimov. 
En effet, depuis des siècles, les êtres humains ont perfectionné les robots et ont fini par leur confié la planète/ le pouvoir/leurs vies. Plus de guerres, plus de pauvreté, plus de famines…Tout le monde est heureux et vit sous l’influence de drogues (très Le meilleur des mondes, là, même si ce n’est pas le soma qui est consommé mais les sopors). Fini les problèmes dus à l’attachement, à la famille, aux liens : une loi régit ce qui touche à l’intimité. L’amour, non, ça n’existe plus mais il reste la pornographie  (« sexe vite fait, bien fait »). Le travail manuel et technique a été confié aux robots/androïdes. Ou aux prisonniers sous les ordres des robots. Car, oui, désobéir équivaut à des travaux forcés et à l’emprisonnement. Il est hors de question de se rapprocher des autres, de se regrouper ou de vivre en couple. D’ailleurs, la procréation est inutile : tout le monde avale des contraceptifs sans le savoir depuis des années.

Les efforts intellectuels appartiennent au passé. Les maximes du type  » Pas de questions, relax », « Dans le doute, n’y pense plus » régissent la vie des humains qui paraissent vivre comme sortis de Brazil, le film. Décidément, le début des années 80  (1981 pour le roman, 1985 pour Brazil) envisageait le futur de la même façon. Et parfois, tout ça résonne étrangement en 2022…
Car les écrans ne sont pas bannis : même s’il s’agit de télé, ils sont envahissants et diffusent des programmes totalement ineptes…
Et les livres ?  A l’inverse de Farenheit, ils existent toujours mais plus personne ne sait lire. On a oublié.
Jusqu’au jour où un homme, Paul, professeur à l’université, propose ses services au doyen Spofforth car il a appris à lire tout seul dans un livre trouvé par hasard (les livres ne sont pas si bien cachés que ça, ils sont oubliés). Robert Spofforth est le doyen de l’université mais c’est le chef, disons-le : il dirige le monde. C’est le robot le plus perfectionné qui existe, un classe 9.  C’est aussi le clone d’une humain qui a vécu il y a longtemps et dont il voudrait retrouver les souvenirs enfouis.
Mais Spofforth n’est pas humain ; il ne peut pas se reproduire, il ne peut pas mourir non plus. Il va exercer son pouvoir : il refuse que la lecture soit enseignée, ce serait un crime. Il demande à Paul Bentley de décrypter les textes qui figurent sur de vieux films muets.
La vie de Paul change.
Il se prend au jeu. Découvre des concepts. Et quand il finit par rencontrer Mary Lou, une femme étrange qui habite dans le zoo, sa vie  bascule. Celle de Mary Lou aussi. Celle de Spofforth, on le verra ensuite, va changer.
Ce roman est brillant de bout en bout : suivre les personnages, leur apprentissage, leur évolution.
Il y a peut-être quelques longueurs vers le milieu avec un événement qui casse le rythme mais je n’ai pas trouvé cela très gênant.
J’avais beaucoup apprécié le Jeu de la dame, eu plus de mal avec L’homme tombé du ciel mais j’ai retrouvé l’alchimie qui m’avait attirée dans le 1er dans celui-ci. De la bonne SF

 « J’éprouvais un certain plaisir à découvrir les choses que les livres pouvaient dire à l’intérieur de mon esprit… Je ne me suis arrêté qu’après avoir appris tous les mots des quatre livres. Plus tard, j’ai mis la main sur trois nouveaux livres, et ce n’est qu’alors que j’ai vraiment su que l’activité à laquelle je me livrais s’appelait « lire ». « 

L'Oiseau moqueur par Tevis

 

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Premières lignes – 21 septembre

Premières lignes 

« Le grand Achille. Le brillant Achille, le bouillant Achille, le divin Achille… Comme les épithètes s’accumulent ! Nous ne l’appelions jamais par aucun de ces noms ; nous l’appelions « le boucher ».
Achille au pied léger. Voilà qui est plus intéressant. « 

Le silence des vaincues est un livre que je voulais lire depuis plusieurs mois – et pour cause : c’est une réécriture de la guerre de Troie, de point de vue de Briséis.
Je dois dire que j’ai un faible pour ce genre de réécriture (quand elles sont bien faites). J’ai aimé suivre Cassandre dans La trahison des dieux (malgré les défauts du roman de MZ Bradley) ou Andromaque dans Troie de David Gemmell (le personnage est formidable dans la trilogie de Gemmell).
Bien sûr, d’une autre façon, Le chant d’Achille est un roman remarquable. Mais Madeline Miller sait revisiter l’Antiquité comme personne…
Ici, on suit surtout Briséis qui sera le fil conducteur et le principal point de vue — hélas, pas le seul. Arrachée à sa vie, kidnappée, elle connaît le même sort que les autres femmes : elle devient le trophée d’Achille qui la regarde à peine, la met dans son lit et se sert d’elle. La guerre est déjà bien entamée et le camp des Grecs a eu le temps de s’installer sous les remparts de Troie. Il existe une organisation bien rôdée.
Les soldats et les chefs de guerre ont leurs « femmes »,  celles qu’ils ont réduites en esclavage en faisant des incursions dans les terres aux alentours. Ils les côtoient, les malmènent. Certains semblent mener un simulacre de vie domestique. On partage la cabane/la tente, des  enfants naissent. Les femmes exercent des « professions » : elles aident à l’infirmerie, à la cuisine, etc…
Et pourtant, ces femmes n’ont aucun statut, aucun droit. A tout moment, elles peuvent être données/vendues à un autre, blessées, violées, tuées.
Briséis, une jeune femme qui fut reine, connaît la même vie ainsi que ses camarades. Achille, quant à lui, est un monstre d’égoïsme. Et, à la fois, il est dépeint comme un fils qui recherche sa mère.
Le roman est assez immersif sans voyeurisme pour autant. L’autrice ne s’appesantit pas sur les viols, sans les nier non plus. C’est donc bien dosé : pas de descriptions malsaines. Mais la réalité des violences, le climat lourd, la présence de la guerre, tout cela reste présent.
L’importance du silence des femmes, du fait que Briséis n’a pas voix au chapitre, est bien rendu. Le seul bémol, à mon sens, réside dans le choix de l’autrice de basculer à un moment vers le point de vue d’Achille (alors qu’elle avait privilégié le point de vue de Briséis). L’effet n’est pas très cohérent et, surtout, n’amène pas grand chose au roman, au contraire. En gros, on n’a pas envie de savoir ce que pense ou ressent l’un des bourreaux, les indices nous étant donnés via le ressenti et la vision de Briséis.
C’est un peu dommage même si cela n’entrave pas la lecture.
Un bon roman, donc.

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Premières lignes – 13 septembre

Premières lignes 

 » Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l’intelligence, et même le génie, c’est l’incompréhension ».

Attention, vous êtes prévenus  : en ouvrant L’Anomalie (prix Goncourt 2020), vous allez lire un excellent roman de Science-fiction aussi (mais pas que), même s’il se cache derrière une couverture Gallimard collection blanche (ou en Folio).
En fait, je pourrais dire : un excellent roman, tout court, mais il me semble important de préciser qu’il s’agit bien de SF surtout car, lorsque le roman d’Hervé Le Tellier (président de l‘Oulipo depuis 2019) a reçu le Goncourt, le terme « SF » a été prononcé du bout des lèvres.
Et pourtant, c’est bien cet « événement incroyable » qui sous-tend l’ensemble et se  trouve au centre  et bouleverse la vie des personnages.
Pour le reste, la construction du roman est un modèle du genre. Et pourtant, elle n’était pas simple (casse-gueule, est le terme). On suit 11 personnages.  Et aucun n’est inintéressant, aucun n’est laissé de côté, aucun n’est superflu. Chaque histoire est importante.
Leur point commun ? Ils ont tous pris le même vol Paris-New York un 10 mars 2021, un Boeing 787 d’Air France.  Il se trouve que le voyage a été mouvementé,  avec un orage de grêle et des turbulences très fortes… Il finit par atterrir mais l’avion est endommagé.
Seulement, il y a un hic : en juin 2021, le même avion (même vol, mêmes passagers à l’intérieur) surgit d’une cumulonimbus et veut se poser à New York. Les autorités américaines le dirige vers une base secrète.
De là, commence une véritable énigme.

C’est absolument succulent, bien mené, ingénieux avec des passages humoristiques. de plus, à partir du moment où « l’anomalie » trouve un début d’explication, le roman se lit comme un thriller. L’écriture n’est ni embrouillée, ni compliquée – au contraire, on dévore les pages.

Je ne peux que le conseiller : je me suis régalée.

« Aucun auteur n’écrit le livre du lecteur, aucun lecteur le livre de l’auteur. Le point final,, à la limite, peut être leur point commun »

 

L'anomalie par Le Tellier

Résumé : En juin 2021, un événement insensé bouleverse les vies de centaines d’hommes et de femmes, tous passagers d’un vol Paris – New York. Parmi eux : Blake, père de famille respectable et néanmoins tueur à gages ; Slimboy, pop star nigériane, las de vivre dans le mensonge ; Joanna, redoutable avocate rattrapée par ses failles ; ou encore Victor Miesel, écrivain confidentiel soudain devenu culte.
Tous croyaient avoir une vie secrète. Nul n’imaginait à quel point c’était vrai

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Premières lignes – 31 août

 

Premières lignes 

 » Ce fut à cause du vieux gibet que commença la dispute à plus de dix lieues d’Ormeshadow.
Le point de départ était la glorieuse ville de Bath.
 » Pourquoi devons-nous partir ? demanda Gideon à son père.
— Oui, s’interposa sa mère. explique à Gideon les raisons de notre départ.
–Nous allons nous installer chez mon frère, dans sa famille, à Orme shadow.
— Mais…
— Gideon, le voyage sera long. Du calme, fils.
— Effectivement, ajouta Clare. Du calme, fils.
Ce furent les derniers mots que prononcèrent les parents de Gideon avant l’arrivée au gibet. Le garçon avait l’habitude des silences entêtés de sa mère et ne s’en inquiéta pas., en dépit de leur proximité sur la banquette de la diligence bondée. « 

Dans ce court roman (ou longue novella, au choix), paru au Bélial dans la collection « Une Heure Lumière », le fantastique se met en place en pointillés au travers de contes et d’une légende familiale.
Et c’est une réussite.
Priya Sharma nous transporte dans l’Angleterre victorienne, alors que la famille Belman, après son départ de Bath, rejoint la ferme familiale à Ormesleep. Nous suivons Gideon, l’enfant du couple Belman, qui découvre une toute autre vie : campagnarde, rude, une vie qu’il ne comprend pas bien — et des secrets familiaux qui génèrent des tensions.
L’autrice lève le voile peu à peu sur les circonstances de ce retour à la campagne, installe un climat tendu tout en créant des personnages attachants. Le ton est juste, intimiste et même si le surnaturel n’apparaît que par touches légères, il trouve sa place. J’ai retrouvé un peu du plaisir que j’avais eu en lisant Pierre-de-vie de Jo Walton.
Ormeshadow 
a donc été une excellente surprise. Un très bon moment de lecture.

Ormeshadow par Sharma

 

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