Premières lignes #26mai

Aujourd’hui, les Premières lignes sont tirées d’un roman que j’ai lu il y a déjà quelques semaines :

« La vieille maison est tapie sur sa colline, avec sa peinture blanche écaillée, ses baies vitrées, ses frêles balustrades en bois envahies de sumac vénéneux et de rosiers grimpants. Leurs tiges puissantes ont délogé les bardeaux qui s’entremêlent désormais parmi les joncs. L’allée de graviers est jonchée de douilles vides tachées de vert-de-gris. martin Alveston descend du pick-up et ne regarde pas Turtle qui reste assise derrière lui dans l’habitacle, il gravit le porche, ses chaussures militaires un son creux sur les planches, un homme robuste en jean Levi’s qui ouvre la porte vitrée coulissante. Turtle attend, elle écoute les cliquetis du moteur avant de lui emboîter enfin  le pas. « 

My absolute darling fait partie de ces livres qui déboulent comme des OVNI dans la littérature. Il est fort, doté d’une écriture originale et, surtout, il dérange.
Les premières lignes contiennent déjà tous les indices de la relation entre Turtle (Julia) et son père, Martin.
Julia (Turtle ou Croquette, pour son père) est une adolescente qui mène une vie particulière: elle ne parle à presque personne, a des difficultés à l’école. Mais, une fois dans la nature, elle sait survivre, construire un abri, chasser….
Son père, un survivaliste qui vit à l’écart de tous depuis la mort de la mère de Julia, l’entraîne dans des exercices militaires qui parfois touchent à la torture. Il est aussi un père abusif, incestueux qui pense affirmer son emprise sur sa fille pour leur bien à tous les deux.

On ne sort pas indemne de ce livre.
Et pas  seulement parce qu’il contient des passages violents, parce qu’il est brillamment écrit, qu’il bouleverse, qu’il décrit la nature de manière sublime comme il montre les comportements humains de toutes sortes sans porter de jugement.
J’ai eu souvent des instants d’hésitation: l’auteur va-t’il verser dans la complaisance, voire le voyeurisme ? Comment parler, montrer, l’inceste sans tomber dans le glauque, le voyeurisme (si jamais vous avez lu Christine Angot, vous voyez de quoi je veux parler…)?

Voilà la réponse de l’auteur quand on l’interroge sur les scènes difficiles à lire :
Certaines scènes sont presque insupportables à lire, comme celle où le père de Turtle l’oblige à faire des tractions en maintenant un couteau entre ses cuisses ou bien l’opération improvisée d’un doigt. Était-ce aussi insupportable de les écrire?

Oui, mais j’ai toujours su que ça allait être un livre douloureux. Je pensais savoir des choses vraies à propos de la douleur et j’espérais pouvoir les retranscrire dans la fiction. Alors, je rendrais à Turtle sa dignité et son innocence, si je parvenais à montrer clairement au lecteur qui elle était. J’espérais que ce serait une consolation pour quelqu’un. Des gens souffrent. Si nous n’écrivons pas pour cette raison, je ne sais pas ce que nous faisons.

(source)

Il reste que My absolute darling est un roman fort, intense, à l’écriture magistrale (il y a longtemps que je n’ai pas été scotchée par une telle puissance).
Je pense que c’est un livre à lire, vraiment ; parce que la littérature n’est pas pour nous conforter, nous cocooner, ni même fabriquer des personnages auxquels il faudrait par je-ne-sais quel tour de passe-passe avoir à  s’identifier forcément. Lire, c’est aussi et surtout,  prendre des risques, découvrir des territoires inconnus, se mettre en danger.  Et ce livre le confirme.

Résumé :
A quatorze ans, Turtle Alveston arpente les bois de la côte nord de la Californie avec un fusil et un pistolet pour seuls compagnons. Elle trouve refuge sur les plages et les îlots rocheux qu’elle parcourt sur des kilomètres. Mais si le monde extérieur s’ouvre à elle dans toute son immensité, son univers familial est étroit et menaçant : Turtle a grandi seule, sous la coupe d’un père charismatique et abusif. Sa vie sociale est confinée au collège, et elle repousse quiconque essaye de percer sa carapace. Jusqu’au jour où elle rencontre Jacob, un lycéen blagueur qu’elle intrigue et fascine à la fois. Poussée par cette amitié naissante, Turtle décide alors d’échapper à son père et plonge dans une aventure sans retour où elle mettra en jeu sa liberté et sa survie.

 

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365 jours d’écriture – Fée

essais2

 

« Fée pas ci, fée pas ça…. » Rengaine fée

Non loin d’ici, de l’autre côté de la pluie, là où parfois se perdent les magiciens et quelques rêveurs, il est une contrée où résident les fées. Par-delà les terres, les rivières et les pierres, il nous arrive de la traverser par mégarde ou de la frôler sans  savoir, en un clin d’oeil.
C’est un lieu qui pourrait nous effrayer si nous pouvions le voir à l’éveil. Il nous paraîtrait sauvage, emmêlé et échevelé, sans queue ni tête, ni sens, ni règles, ni lois. Mais c’est ainsi que le peuple fée désire le montrer.
Car il n’en est rien.
Au contraire, la société sidhe (=shee) est parfaitement structurée de même que l’est son univers.
Pensez -vous que la contrée des fées est un ensemble de joyeux vallons où s’ébattent telles d’anciennes nymphes de jolies dames voletantes au gré du vent?  Un parterre de marguerites géantes où s’agitent en chantonnant de petites créatutes insouciantes vêtues de jupettes de feuilles chevauchant des chenillles? Que nenni. Les contes de fées sont comme les créatures qui les peuplent: trompeurs.

La réalité féérique est bien différente.
Le pays est sillonné par des voies fées – qui sont, je le conçois, fort différentes des nôtres –  reliant les innombrables cantons-fées à l’intérieur desquels sont établis les bourgs des fées.
Nous ne parlerons pas de la politique fée qui, bien sûr, dépasse totalement notre entendement de mortels et pourrait nous sembler quelque peu fantasque. Mais elle ne l’est pas.
Vous avez tous entendu parler du fameux roi sidhe, Obéron? Et de la souveraine Titania? De Robin « Puck » Goodfellow? L’ami Shakespeare s’est fait le porte-parole de leurs aventures il y a longtemps.
Mais ce que l’histoire ne raconte pas, ce sont les manières révolutionnaires et totalement modernes de ces deux souverains! Ils  mirent en place un système fort habile  pour réguler les débordements de leurs voisins; oui, nous autres, les humains.
Obéron fut le premier à organiser la vie féérique. Point de goûters sur l’herbe, de chants et de rondes amusantes en tenues légères lors des soirées d’été. Balivernes! Au travail, les fées!
Depuis la nuit des temps, le peuple sidhe œuvre dans l’ombre afin de réparer les erreurs et les errances des mortels. Chaque région fée a sa spécialité et son domaine d’expertise. On en compte d’innombrables….

Ainsi, à Illusions-Perdues, on peut croiser les fées  en charge  des cauchermars et des somnambules perdus; à Ambreville, on rapièce les trames des histoires  ; à Fillory, on console les petits enfants égarés par hasard avant de les ramener;  à Techno-sidhe, on répare  les pannes dues aux interventions malignes. Les Techno-fées sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses depuis le développement de l’électricité puis d’internet. Il y en a encore des centaines, les fées en charge de la nourriture à Chouville, des animaux disparus et des créatures imaginaires à TaDzoa, des bizarreries climatiques à SolyNube,  Nul ne peut tout citer sans en perdre la raison; aussi n’essaierais-je pas.

Mais, ce jour-là, les fées des lettres agitaient dans tous les sens leurs longues  ailes couvertes de papier. Les Lettra-fées ont toujours été  chargées de tenir les registres linguistiques; elles ont la responsabilité des mots.
Ces fées étaient de grandes dames aux robes faites de papier bruissant et de grands messieurs aux habits en papier journal. Ils arboraient fièrement leurs lettres en différents alphabets et parlaient de façon calme et posé, dissertant sur la prose ou la signification de tel mot dans tel dialecte humain – ou non-humain.
Pourtant rien n’allait plus.Les fées des mots, plus petites et plus expansives, allaient et venaient entre les édifices, portant des monceaux de dictionnaires, s’interpellant à tue-tête – et le diable sait que les fées peuvent avoir de petites voix fort aigües….
Finalement, l’une entre elle se posa au beau milieu de La Place Centrale et cria de toutes ses forces:
– Ce n’est plus possible! Il faut les arrêter!
Aussitôt, dames et sieurs sidhe arrêtèrent leurs conversations et se massèrent avec grâce autour d’elle:
– Et bien, fée-mot, que t’arrive-t’il?

La petite déploya ses ailes qui se teintèrent d’un vert brillant de rage:
– Ils se moquent de mon mot! Moi, Nénufar-fée!
Un « ooooh » s’éleva de la foule attroupée. Les sourcils argentés des messieurs se froncèrent. Leurs beaux yeux en amande se noircirent de courroux.
– Les …humains? Comment osent-ils?
Un jeune garçon-fée, qui avait toujours l’air étonné, s’avança à son tour, triturant son couvre-chef entre ses mains fines. L’assemblée le dévisagea avec une stupéfaction sans pareil. Le sieur fée qui avait déjà pris la parole avec irritation lui demanda:
– Pourquoi, Sire Conflexe, as-tu ôté le symbole de ta charge? Veux-tu bien le replacer!
Le garçon-fée se tassa encore un peu plus sur lui-même:
– Il paraît, Messire Dyko, que je n’ai plus d’utilité…Je ne peux pas…
A nouveau, l’indignation se fit entendre. Messire Dyko leva la main et fit taire les autres. Il fit un signe à sa voisine, une fée voilée de papier transparent qui doucement, s’avança à ses côtés:
– Je vais laisser la parole à notre Très Sage Dame Lingua. Voulez-vous, ma dame?
Tous se turent car Dame Lingua était une sorte de légende parmi les fées. On disait que c’était elle qui avait établi toutes les langues du monde humain et non-humain, qu’elle avait participé au sauvetage de la tour de Babel afin d’en rapporter la richesse des dialectes.
Sa voix était calme et douce quand elle parla:
– Tout ceci n’est que du vent, ô fées.  Nos collègues Techno-fées m’ont fait part de ces rumeurs concernant une langue humaine, en particulier. . Ne vous inquiétez pas, fée Nénufar et toi Sire Conflexe. Vous avez toujours votre place. Nos partenaires Techno-sidhe règlent ce désagrément bien humain….Vous les connaissez.. Ils se prennent pour le centre du monde, s’agitent sans savoir, oublient aussitôt et recommencent peu après.
Tous se mirent à rire. L’atmosphère se détendit. Les yeux noircis de colère reprirent leurs couleurs d’or et d’argent, d’ambre et de pourpre.
– En effet, vous savez les emballements et les faiblesses des mortels… Peu de réflexion, beaucoup d’affolement.  Ah, si nous s devions écouter ceux qui crient et qui ragent, les pauvres  humains en seraient encore à tailler des silex ou à s’exprimer en grommelant des sons disgracieux.  Et leur pauvre mémoire qui ne sait rien retenir.  Il ne faut pas leur en tenir rigueur car ils sont ainsi faits. Calmez-vous, ô fées,  car comme le disait notre ami le poète William qui séjourna parmi nous : tout ceci est beaucoup de bruit pour rien.(Much Ado About Nothing).

 

FIN

 

Niess – 2016

 

 

J’ai un album plein  de fées ici