Premières lignes — 8 mai

Premières lignes

«  Dieu merci, j’en ai fini avec la géométrie, qu’il s’agisse de l’apprendre ou de l’enseigner, déclara Anne Shirley d’un ton un rien vindicatif en flanquant un ouvrage d’Euclide passablement usé dans un gros coffre empli de livres, avant de le refermer triomphalement et de s’asseoir dessus en regardant Diana Wright, à l’autre bout du grenier, de ses yeux gris semblables à un ciel matinal.
Cegrenier était un endroit plein d’ombres, évocateur et délicieux, comme devraient l’être tous les greniers. Par la fenêtre ouverte, près de laquelle Anne était assise, soufflait l’air doux, parfumé et chauffé par le soleil d’ une après-midi d’août ; dehors, les branches des peupliers bruissaient et remuaient dans le vent ; derrière eux se trouvaient les bois où le Sentier des amoureux  déroulait son chemin enchanté, et le vieux verger de pommiers qui portaient encore leur abondance de fruits roses. « 

Voici le cinquième tome de la série Anne, entamé avec Anne de GreenGables, toujours dans la très belle réédition de Monsieur Toussaint-Louverture.
J’ai finalement trouvé la solution à mes pannes et autres fatigues de lecture, récurrentes ces derniers mois : reprendre des livres qui me plaisent. Et la série des Anne en fait partie. Je n’avais pas encore lu celui-ci alors qu’un nouveau tome est déjà sorti.
J’étais restée un peu mitigée avec Anne de Windy Willows souvent très lent et pas forcément à la hauteur des premiers. Mais, avec cette nouvelle étape dans la vie d’Anne, une page se tourne et le talent de Lucy Maud Montgomery est au rendez-vous.
Anne a donc pris sa décision : elle épouse Gilbert. On peut sourire quand on se souvient au début de leurs relations houleuses, à l’école, toujours en compétition l’un avec l’autre. Néanmoins, leur lien a mûri. Anne et Gilbert, devenus amis puis amoureux savent se comprendre comme nul autre. On dirait presque, comme le déclare Anne, des « âmes soeurs ».
Pourtant, Gilbert devenu médecin, ne s’est pas installé à Avonlea  mais plus loin, toujours sur l’île du Prince Edouard. Heureusement, il a déniché une maison tout à fait dans les goûts d’Anne, près du bord de mer, un peu isolée, tout à fait charmante puisqu’on y voit le phare.
Très vite après son mariage (bucolique), Anne cherche à connaître ses voisins : le vieux gardien de phare,  Captain Jim est un conteur né. Miss Cordelia ne tarde pas à venir la faire rire avec sa langue bien pendue et ses opinions tranchées sur les « hommes, ces bons à rien » et les méthodistes, qu’elle ne peut pas supporter (Anne et Gilbert sont heureusement presbytériens). Il reste un mystère, pourtant, qu’Anne cherche à percer : qui est la superbe jeune femme qui l’a épiée dès son arrivée ?
Bien entendu, Montgomery va introduire ce nouveau personnage et entremêler son drame aux nouvelles épreuves qu’Anne va devoir affronter.
Ce tome 5 est décidément très réussi, beaucoup plus réaliste que le précédent,  tout en contrastes et en justesse. A nouveau, le sourire se mêle aux larmes, pour le meilleur.

 

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Une autre moi-même — M.R Carey

Il y a des livres avec lesquels on peine, ceux qui nous tombent des mains dès le début ou même en plein milieu ; il y a des livres qu’on referme avec un sentiment mitigé, ceux qu’on pose en sachant très bien qu’on n’en gardera pas le souvenir d’ici les prochains mois. Il y a des romans qui sont plutôt pas mal mais qui ont ces petits défauts agaçants qui font grincer des dents, ceux qui contiennent tellement d’incohérences que la lecture en devient un pensum plus qu’un plaisir. Il y a des romans « faciles » mais qui, finalement, restent sans saveur et ceux qui se veulent tellement « recherchés  » ou écrits ou avec une subtilité  digne de celle  d’Emmanuel Macron en politique ‘oups’, d’un titre de Cannibal Corpse. 
Il existe des tas de livres qui vous mènent à la lassitude en lecture (mon cas depuis la fin de l’année dernière). Mais, heureusement, il y en a presque autant qui apportent de la joie, du plaisir à lire et qui amènent à dire : « Mais qu’est-ce que c’est bien fait ! »

Les romans de Mike Carey  (Celle qui a tous les dons, la trilogie de Koli)  font partie de cette deuxième catégorie, non parce qu’ils abordent des sujets « youpi yop, le monde est rempli de Bisounours », au contraire mais parce qu’ils sont extrêmement bien construits, que les personnages sont consistants, que les intrigues se tiennent de bout en bout, qu’on n’y rencontre pas des  formulations pouvant induire du racisme, sexisme, homophobie, etc…
Carey sait nous captiver, nous emmener dans la psyché de ses personnages et construire aussi des ambiances. Avec Une autre moi-même, les deux personnages principaux sont deux femmes : une mère (Liz) qui se défend contre son ex mari, un homme violent et abusif, et une adolescente qui, étant enfant, a été victime d’un kidnapping. Toutes deux soumises à des traumas ont, pense-t’on, développé des stratégies de survie et subissent des troubles psychiques. L’adolescente (Fran) est cataloguée au collège comme la « dingo » de service. Elle consulte un psy, est sous traitement. Son seul refuge demeure son « amie imaginaire », une renarde qui lui vient d’un dessin animé qu’elle regardait étant enfant.
Quant à Liz, le jour où elle répond aux coups de son ex, elle a la nette impression que quelqu’un a pris le contrôle de son corps et de son esprit.  On pense à un  trouble dissociatif de l’identité.
Mais voilà : les apparences sont un peu trompeuses et la fantastique s’en mêle de façon très habile.

Je n’en dirais pas plus. Le traitement des personnages est splendide, la façon dont Carey manie les points de vue, magistrale.
(oui, il faut le lire!)

Merci aux éditions l’Atalante et à Masse critique Babelio pour l’envoi !

 

Une autre moi-même par Carey

 

Premières lignes un peu spéciales

Cette semaine, je vais avoir des premières lignes spéciales, je dois le dire. Vous ne trouverez le roman que sur Neovel.

Furrville

Ce matin-là, Lady Tabitha de Taigne mit très tôt le nez à la fenêtre. Non qu’elle en eût envie, mais elle avait été réveillée par les cris incessants du marchand de lait qui hurlait dans la rue à qui mieux-mieux. A qui miaou-miaou, plutôt ! C’était à se demander ce qu’il lui prenait à s’égosiller ainsi de bon matin de manière aussi dissonante !

Ayant toujours eu un sommeil léger – Mère disait toujours « Tabie, ne dors jamais que d’une oreille, tiens-toi prête à tout, ma fille » – Lady Tabitha sauta rapidement hors de sa couche. Les années n’avaient pas entamé sa souplesse et même si, parfois, quelques unes de ses articulations commençaient de la tirailler, elle s’exerçait sans relâche à s’étirer comme au temps de sa jeunesse.

Car Lady Tabitha était entrée dans ce qu’on appelle « l’âge mûr », même si ce terme convient mieux aux fruits qu’aux mammifères. Le dicton populaire chez les félins assénait : « Si tu mûris trop, attention ensuite à la pourriture qui suit ! ». Cela ne concernait pas Lady Tabitha de Taigne qui restait vive et affûtée. Elle gardait aussi un pelage lustré, de couleur bronze avec plusieurs touches de blanc sur le ventre, la gorge et les pattes, zébré finement de noir qui signait son appartenance à la caste des Tabbies. A ce sujet, beaucoup se demandaient d’ailleurs comment une jeune dame des Tabbies, une caste considérée comme un peu populaire, avait pu accéder au titre de Lady et occuper un rang élevé dans la société. Certains esprits chagrins colportaient bien des rumeurs plus fausses les unes que les autres : on évoquait son union avec Sieur Minoor, un marquis de haut rang qui, selon des sources sûres, avait été le conseiller privé de sa Majesté. Bien entendu, une part était vrai  puisque Lady Tabitha et Sieur Minoor avaient été unis longtemps jusqu’au décès brutal du marquis, quelques années plus tôt. Mais Lady Tabitha ne devait en rien son titre à son compagnon, enfin ! Les titres et les noms se transmettaient de mère en fille dans la société féline, les médisants devaient le savoir… Quant à son aisance à se mouvoir dans toutes les strates de la société, son habileté et son intelligence la lui permettaient. De même que sa persévérance infatigable .

Pourtant, ce matin-là, aux petites heures grises, Lady Tabitha ressentait de la lassitude. Certes, elle avait dormi mais, tout de même, une heure ou deux de plus n’auraient pas été de trop. Et tout cela à cause de ce jeune brailleur, là, dehors !

Elle finit par tirer les rideaux, ouvrir les deux battants des fenêtres et par jeter un coup d’œil au-dehors. La rue de la Bonne Cataire lui parut aussi grise et déserte qu’elle devait l’être à ce moment de l’année et de la journée. Elle se pencha et l’aperçut en contrebas. Un jeune marchand de lait à la mise débraillée, une casquette posée de guingois sur ses oreilles, un bidon passé tant bien que mal en bandoulière sur ses épaules, répétait d’une voix aiguë : «  Du bon, du bon lait,   et tiens ! Frais dès le matin-tin-tin ! Jamais trop tôt pour une tite tasse ! Vous serez plus jamais à la ramasse ! ».

C’était horrible. Un supplice auditif.

J’avoue que l’occasion était trop belle même si j’ai toujours du mal à parler de ce que j’écris…(la confiance ne m’étouffe pas)
J’avais commencé un peu par hasard ce que je pensais être une nouvelle policière  avec un zeste de fantasy animalière,  fin janvier. Et quelques 25 chapitres plus tard, je me retrouve avec un roman court, mis en ligne entièrement sur Neovel (une petite plateforme qui monte) et en partie sur Wattpad. J’ai publié le dernier chapitre samedi.
Il faut dire que dans l’intervalle, j’ai appris l’existence d’un concours sur Neovel, alors que l’histoire que j’écrivais était bien entamée.
Le mystère du pépin de pomme, 1ère enquête d’un trio félin assez original, participe donc à ce concours. Tout le monde peut encore voter jusqu’au 14 avril. Pour cela, il suffit de se rendre sur le site, de se créer un compte et de lire les 3 premiers chapitres. Au bout de trois, on voit apparaître la proposition « voter pour ce livre ». C’est important, ça peut me permettre d’être éditée ! 

https://fr.neovel.io/user/55860/aleya

Le mystère du pépin de pomme sur Neovel 

Alors de quoi ça parle ?

Lady Tabitha de Taigne n’en revient pas : elle vient d’apprendre par le laitier que son associé, le grand enquêteur Maître Leroux, a disparu ! Selon la rumeur, il n’a laissé derrière lui qu’un pépin de pomme. Elle repart enquêter, elle qui n’est plus une jeune minette mais, heureusement, des partenaires imprévus viennent lui prêter patte-forte : Grinéblan, fils du comte Grey et le jeune Newton, dit Nioute la Filoute, matou des rues. Le trio viendra-t’il à bout de cette énigme dans Furrville ?

Et, puisque j’ai l’intention de le traduire en entier en anglais, les premières lignes sont disponibles  aussi en anglais dans la vidéo réalisée avec des outils bien utiles, ci-dessous.

The novel is only available  in French for the moment but I am translating it and hope to put it online in English very soon.  As I intend to translate the story entirely into English, I made this video in which you can hear the first lines of the novel. In English.

« Lady Tabitha de Taigne can’t believe it: she has just learned from the milkman that her partner, the great investigator Maître Leroux, has disappeared! According to the rumor, all he left behind was an apple seed. She sets out again to investigate, no longer a young pussycat, but fortunately, unexpected partners come to lend a hand: Grinéblan (Greynosewhite), son of Count Grey, and young Newton, known as Nioute la Filoute(Newt the scoundrel), a street tomcat. Will the trio be able to solve this enigma in Furrville? »

Merci pour le trio félin ! Merci de penser à moi.
Je pense qu’il y aura une autre enquête car le monde dans lequel évolue les chats détectives est finalement assez vaste (on y trouve des loutres pirates, et…mais chut !)

 

Premières lignes — 21 février

Premières lignes 

 » Mars 1942 –
la pièce était fermée depuis une semaine ; le store de calicot à la fenêtre sud donnant sur le jardin de devant avait été baissé ; une lumière couleur parchemin baignait l’air froid et confiné. Polly gagna la fenêtre et tira le cordon . Le store se releva dans un claquement sec et la pièce s’éclaircit pour se parer d’un gris sans chaleur, plus pâle que le ciel tourmenté envahi de nuages. Elle demeura un moment à la fenêtre. Des touffes de jonquilles se dressaient avec exubérance sous le désespoir des singes , attendant d’être noyées et malmenées par les giboulées de mars. Elle alla à la porte et poussa le verrou. La moindre interruption serait insupportable. « 

Elizabeth Jane Howard a un talent de grande conteuse ; avec sa saga des Cazalet, elle poursuit la fresque de la famille étendue durant la Seconde guerre mondiale, en Angleterre.
Au cours du second tome, bien nommé en français A rude épreuve, nous avons suivi les trajectoires des trois frères Cazalet : Hugh, l’aîné, blessé lors de la 1ère guerre mondiale, travaille dans l’entreprise familiale  avec ses deux frères, et a perdu son grand amour et femme Sybil d’un cancer. Le couple a eu trois enfants, Polly, Simon, et le dernier, William (Wills) né avant-guerre. Polly, l’aînée,  va prendre son indépendance dans le tome 3. Elle est devenue très amie avec sa cousine, Clary,  fille de Rupert, le plus jeune des frères Cazalet. Rupert était peintre et a décidé sous l’influence de sa jeune épouse Zoé, de renoncer à sa carrière peu rémunératrice pour prendre des responsabilités dans l’entreprise de bois. Il est le père de Clary et Neville, dont la mère est décédée il y a longtemps et de Juliet, qu’il a eue avec Zoé. Mobilisé durant la seconde guerre alors qu’il  était trop jeune lors de 14-18, il est bientôt porté disparu.
Edward,  le plus fidèle à la tradition familiale, chef d’entreprise est marié à Viola (Villy) et la trompe largement depuis des années. Mais il a une maîtresse  cachée et régulière, Diana. Il est mobilisé aussi mais ne participe pas aux combats. Il est le père de Louise, qui vient de se marier à Michael, un portraitiste à succès plus âgé qu’elle, de Teddy qui finit sa scolarité, de Lydia et du petit Roland.
Enfin, Rachel est la seule fille. Elle n’est pas mariée et s’occupe des « anciens », la Duche, sa mère et les deux soeurs de celle-ci, ainsi que du  Brig, sonpère des trois frères, devenu aveugle mais ne voulant pas perdre pied ; il compte sur sa fille pour tout.  Rachel est habituée à rendre service aux autres, au détriment de sa santé et de sa vie personnelle. Elle est amoureuse de Sid, son amie mais n’a jamais su braver sa famille pour s’installer avec elle.
La famille Cazalet est aisée et a l’habitude d’avoir des domestiques qui ne sont plus très nombreux avec la guerre.

Le tome 3  » Confusion » s’ouvre en 1942 et va se concentrer sur « les filles » : Clary et Polly habitent Londres et désirent prendre leurs distances avec les habitudes familiales. Louise se retrouve totalement à la merci de son mari, qui n’est pas si charmant que cela, et de sa belle-mère, une affreuse manipulatrice. Elle a 19 ans et elle est enceinte. Elle peut dire adieu à sa carrière d’actrice. Très vite, elle découvre que la vie de maman au foyer ne lui correspond pas mais ne sait pas comment se sortir de ce guêpier. Elle va aller de désillusion en espoir…
Zoé ne se sent guère mieux ; elle n’a reçu qu’un mot de Rupert, preuve qu’il est encore vivant, en France. Puis, plus rien. Elle le croit mort et finit par tomber amoureuse d’un américain…
Clary attend son père, elle. Elle a déjà perdu une mère, elle veut croire son père encore en vie. Peu à peu, elle s’accroche à l’amitié d’Archie, cet ami de son père un peu plus jeune.
Sid attend Rachel qui ne se décide toujours pas et elle finit par nouer une relation avec une jeune femme. Pourtant, elle déchante vite…
Edward s’attache de plus en plus à Diana qui est tombée enceinte. Le mari de celle-ci est tué au combat et Diana accouche d’une petite fille? Mais Edward ne se résout pas à parler à Villy…
Confusion, toujours.

Ainsi se passent ces années jusqu’après le débarquement.
Elizabeth Jane Howard choisit de mettre l’accent sur certains personnages — et je l’ai soupçonnée d’avoir des préférences (je la soupçonnais depuis le 1er tome, d’ailleurs). Clary, forcément, mais aussi Archie qui est le dépositaire des secrets de tout le monde, Louise, malmenée par les événements ; Zoé, à petites touches et, bien sûr, Rachel.

On passe un formidable moment avec ce troisième tome, très abouti, qui fait attendre le quatrième avec impatience.

La Saga des Cazalet, tome 3 : Confusion par Howard

 

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Premières lignes – 24 janvier

Premières lignes 

En voyant passer des articles sur la saga des Cazalet, je pensais, complètement à tort, qu’il s’agissait (encore) d’une série un peu mièvre, une histoire largement édulcorée façon Downton Abbey. Il n’en est rien et, au bout du premier tome, je peux dire que c’est tout le contraire (et c’est bien addictif).
« The light years », en français « Etés anglais » est le 1er volume d’une série de cinq (4 + 1 écrit 10 après les quatre premiers) qui commence en 1937 et s’achève en 1958.  On y suit la famille Cazalet, très aisée (entreprise de négoce de bois) avec les grands-parents Kitty ou  La Duche et William Cazalet alias le Brig qui accueille dans leur maison du Sussex, pour l’été 37, leurs trois fils, leurs épouses et leurs enfants. Il faut y rajouter les domestiques. La seule fille de la famille n’est pas mariée et vit avec ses parents.
De là, s’enchevêtrent les pensées via les différents points de vue des un.e.s et des autres pour brosser un tableau complet et complexe (l’arbre généalogique en début de volume est de toute utilité).
Elizabeth Jane Howard se révèle être une formidable autrice, sachant dépeindre tous ces personnages avec finesse, abordant des thèmes difficiles (comme l’inceste) ou plus surprenants chez des gens de cette classe sociale (l’amour entre deux femmes, l’asexualité, le consentement entre époux, la place de la femme). Les enfants tiennent une place importante ainsi que ceux et celles qui font partie de la domesticité.
L’ombre de la Première guerre n’est pas effacée (on la ressent au travers des différents traumas vécus par les fils de la famille) que  la Seconde s’annonce.

Un premier tome excellent pour entamer cette série.

La saga des Cazalet, tome 1 : Etés anglais par Howard

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Clouet : à la cour des petits Valois

Paru aux éditions Falon, dans le cadre de l’exposition qui a eu lieu au château de Chantilly (terminée en octobre 2022), A la cour des petits Valois est un joli ouvrage, clair et bien mis en page.
Les explications relatives au contexte  sont bine indiquées sans être trop lourdes : François 1er demandant les portraits de tous ses enfants à son portraitiste, Jean Clouet.
De même, on en apprend un peu plus sur Jean Clouet, son fils François qui a pris la relève (collection encore plus complète)  et les peintres qui ont travaillé dans l’atelier à leur suite,  des portraitistes moins célèbres comme Germain Le Mannier ou Jean Decourt.

Ainsi on voit comment la commande de portraits évolue :

« La série de portraits d’enfants conservés à Chantilly éclaire la façon dont les commandes royales ont contribué à la diffusion d’un genre et à la prolifération de dessins au XVIème siècle. Les nombreuses actualisations demandées par les souverains régnant permettent de suivre l’évolution physique de leur progéniture. Et lorsqu’ils sont absents, Clouet reprend d’anciens portraits qu’il vieillit. A la suite de la défaite de la bataille de Pavie en 1525, François Ier est prisonnier de l’empereur Charles Quint. Après un an de captivité, il est libéré contre des concessions importantes. Le Traité de Madrid, en 1526, lui impose de livrer ses deux fils aînés, le dauphin François et son cadet, le futur Henri II. Les princes demeurent otages en Espagne pendant plus de quatre ans. Ils sont libérés le 1er juillet 1530. Durant cette période, Clouet continue de mettre à jour les portraits. »

Les enfants adoptent des postures dignes, tels de petits adultes mais certains portraits sont assez troublants comme ce portrait de l’enfant malade, le futur Henri III

(Henri (Alexandre-Edouard) de France, duc d’Orléans, puis d’Anjou, futur Henri III, roi de France et de Pologne (1551-1589) par Germain Le Mannier)

© RMN - Grand Palais

Celui-ci, François II ( Francoys daulphin de France en leage de huict ans et cinq mois au mois de juillet lan 1552)

© RMN - Grand Palais

Cet enfant, avec une petite raquette, est le futur Charles IX (Charles Maximilian duc d’Orléans en leage de deux ans lan 1552 au mois de juing (h. d. , encre) ; Charles IX enfant (sur le carton de montage)

© RMN - Grand Palais

Marie Stuart, portrait commandé par Catherine de Médicis : (Marie royne descosse en leage de neuf ans et six mois lan 1552 au mois de juillet =. La robe et les bijoux ont été dessinés et ajoutés par un autre artiste.

© RMN - Grand Palais

Henri de France duc d’Orléans, futur Henri II (1519-1559) » (vers 1540-1545) par François Clouet – Musée Condé (Chantilly)

En bref, un excellent aperçu du portrait à la Renaissance.

 

 

 

Clouet. À la cour des petits Valois

Les Carnets de Chantilly

Mathieu Deldicque

ÉDITIONS FATON
96 pages
Format : 21 x 21 cm
60 illustrations
Reliure cartonnée – 22 €

 

Sur Chantilly et le musée Condé : 

Cabinet d’arts graphiques du Château de Chantilly
Domaine de Chantilly
7 rue Connétable Château – 60500 Chantilly
Tél. : 03 44 27 31 80

 

Premières lignes – 12/12

 

Premières lignes 

 

J’avais entendu parler de La bibliothèque de minuit et, puisqu’il y était question de livres entre autres, j’avais envie de le lire. C’est chose faite.
Nous suivons Nora Seed, la trentaine, qui traverse une période dépressive et … décide de se suicider car elle estime avoir « raté sa vie ». Incroyable : elle ne meurt pas mais se retrouve dans un lieu qui ressemble à une bibliothèque, en compagnie Mme. Elm (la bibliothécaire qui l’avait aidée dans son collège). Nora comprend alors que quelque chose cloche. Mme. Elm  lui  propose de choisir une vie qu’elle aurait aimé vivre. Où ? Mais en choisissant l’un des nombreux livres présents ! Car il existe  une multitude de vies parallèles avec des possibles multiples…
C’était une idée de départ et, même si je n’ai pas apprécié du tout que le thème du suicide soit abordé de façon aussi légère, j’ai accroché au concept. D’ailleurs, l’indice des univers parallèles se trouve dans la vie (la première) de Nora puisqu’elle travaille dans une boutique nommée La Théorie des Cordes — lesdites cordes ne faisant référence qu’à celles des instruments mais à la physique quantique (dont la possibilité de l’existence des univers parallèles).
J’ai continué avec l’exploration des « premières vies » et je me suis assez vite lassée. Le reste est une répétition sans beaucoup d’imagination, assez moralisatrice (« attention, là, elle en fait trop, elle va avoir des problèmes… » la vilaine est devenue célèbre et pas sympa ! tiens, elle prend de la drogue, c’est pas bien » etc, etc..). On a compris où voulait en venir l’auteur et il ne fait pas dans la délicatesse. Pour dire les choses clairement, le message est lourdingue.
Et puis, on se demande quel est le sens de tout ça : parmi ce que Nora aurait pu faire ou devenir, il y a   star de rock, glaciologue, nageuse olympique, mère de famille ou baroudeuse… Mais non, elle n’a rien fait de tout ça, rappelez-vous : à tout juste 35 ans, elle a raté sa vie, nous a dit l’auteur. Mais qui a décidé qu’une vie était ratée ? et selon quels critères ?
Bref, on comprend vite aussi quelle va être la fin (heureuse, bien entendu).
J’ai fini le roman, un peu agacée. Je tiens quand même à  parler du fait que la dépression de Nora soit aussi mal abordée. Quant au fait que se suicider puisse être résolu par un effet pseudo-magique, ça m’a mise mal à l’aise. La dépression tue et ne se règle pas avec des conseils sortis de ce genre de bouquin – ni même avec une montagne de bouquins, seraient-ils issus d’une bibliothèque de minuit…

La bibliothèque de minuit par Haig

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Jusque dans la terre – Sue Rainsford

Premier roman d’une autrice irlandaise, Jusque dans la terre (Aux Forges de Vulcain) réussit le pari à mêler le sublime (passages poétiques) au plus sombre jusqu’à la limite du malaise, tout cela sur un fond gothique de récit initiatique.
Voyez plutôt : aux lisières d’un village, sans nom, sans époque, vit une jeune fille, Ada, avec son père (Père). Tous les deux nous apparaissent comme des sortes de guérisseurs très prisés des gens des alentours qui viennent les consulter pour toutes sortes de maux.
Ada et son père les appelle des « cures ». Je m’arrête et j’avoue qu’à cet instant du roman, j’ai eu une pensée pour The Cure dont quelques titres  m’ont accompagnée durant la lecture pour le côté cold/dark wave mais un vieux blues poisseux fait bien l’affaire.
Les « cures » sont donc des humains, contrairement à Ada et à son père qui bénéficient d’une longévité extraordinaire (Ada n’est pas réellement « une adolescente »), possèdent d’étranges pouvoirs de guérison en lien avec la terre. Sans parler du père qui a tout l’air d’un métamorphe (ours-garou ou je-ne-sais-quoi-garou).
Ada elle-même est née de la terre. Et la terre guérit… Mais elle est trompeuse et le père ne cesse de répéter à sa fille qu’il faut s’en méfier.
Il paraît détenir des tas de connaissances inconnues d’Ada (sur leurs origines, leurs « pouvoirs », ce que fait la terre) mais nous n’en saurons pas beaucoup plus puisque, tout du long, nous suivrons le point de vue d’Ada (et c’est tout l’intérêt d’avoir choisi ce point de vue). Il y a par moments, de courts passages exprimant les avis des habitant.e.s du village qui nous éclairent peu à peu sur les événements en cours.
Car Ada est tombée amoureuse de Samson. Or, Olivia, la soeur de celui-ci, paraît déterminée à saboter cette relation. Le père d’Ada aussi.
Tout reste dans le non-dit. On avance dans le récit, hésitant entre la curiosité et le malaise  ; quelques scènes de guérison s’apparentent à du body horror et pour ma part, ayant  de mal avec ça, j’ai lu en diagonale ces passages.
L’évolution d’Ada est fascinante tout au long du roman ; ses émotions, son isolement, sa compréhension ou non des humains, sa « monstruosité » qui n’en est peut-être pas une.
On réfléchit aussi sur le rapport à la différence, à la notion de monstre/humain, et à la condition de la femme puisqu’elles sont les plus nombreuses à venir se faire soigner.
Un roman qui interpelle, séduit, fascine de manière étrange mais est très bien maîtrisé de bout en bout (ce dénouement !).

Jusque dans la terre par Rainsford

Résumé : Ada vit avec son père dans une clairière, en bordure d’une forêt, non loin de la ville. Ils passent leur temps à soigner les habitants qui leur confient leurs maux et leurs corps, malgré la frayeur que ces deux êtres sauvages leur inspirent parfois. Un jour, Ada s’éprend de Samson, un de ces habitants. Cette passion, bien vite, suscite le dépit voire la colère du père de la jeune fille et de certains villageois. L’adolescente se retrouve déchirée par un conflit de loyauté entre son héritage vénéneux et cet élan destructeur qui l’emmène loin de tout ce qu’elle a connu.

Lu dans le cadre de Masse Critique Babelio 

Premières lignes — 28 septembre

Premières lignes 

« Comme il remonte la Cinquième Avenue à minuit, Spofforth se met à siffler. Il ignore le nom de l’air, et il ne s’en soucie guère ; c’est un air air compliqué, un air qu’il siffle souvent lorsqu’il est seul. Il est torse nu et ne porte pas de chaussures ; il a pour unique vêtement un pantalon kaki. Il sent sous ses pieds la surface usée des vieux pavés. Bien qu’il avance en plein milieu de la vaste avenue, il distingue les hautes herbes et l’ivraie qui, de chaque côté, ont poussé aux endroits où les trottoirs, depuis longtemps fissurés et défoncés, attendent des réparations qui ne se feront jamais. »

A ne pas confondre avec le classique « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » (qu’il faut lire, d’ailleurs), L’oiseau moqueur, dystopie de Walter Tevis, l’auteur du Jeu de la dame est un très bon roman, qui rappelle par ses thèmes 1984, Farenheit 451 ou Le meilleur des mondes. On pensera également à la série des Robots d’Asimov. 
En effet, depuis des siècles, les êtres humains ont perfectionné les robots et ont fini par leur confié la planète/ le pouvoir/leurs vies. Plus de guerres, plus de pauvreté, plus de famines…Tout le monde est heureux et vit sous l’influence de drogues (très Le meilleur des mondes, là, même si ce n’est pas le soma qui est consommé mais les sopors). Fini les problèmes dus à l’attachement, à la famille, aux liens : une loi régit ce qui touche à l’intimité. L’amour, non, ça n’existe plus mais il reste la pornographie  (« sexe vite fait, bien fait »). Le travail manuel et technique a été confié aux robots/androïdes. Ou aux prisonniers sous les ordres des robots. Car, oui, désobéir équivaut à des travaux forcés et à l’emprisonnement. Il est hors de question de se rapprocher des autres, de se regrouper ou de vivre en couple. D’ailleurs, la procréation est inutile : tout le monde avale des contraceptifs sans le savoir depuis des années.

Les efforts intellectuels appartiennent au passé. Les maximes du type  » Pas de questions, relax », « Dans le doute, n’y pense plus » régissent la vie des humains qui paraissent vivre comme sortis de Brazil, le film. Décidément, le début des années 80  (1981 pour le roman, 1985 pour Brazil) envisageait le futur de la même façon. Et parfois, tout ça résonne étrangement en 2022…
Car les écrans ne sont pas bannis : même s’il s’agit de télé, ils sont envahissants et diffusent des programmes totalement ineptes…
Et les livres ?  A l’inverse de Farenheit, ils existent toujours mais plus personne ne sait lire. On a oublié.
Jusqu’au jour où un homme, Paul, professeur à l’université, propose ses services au doyen Spofforth car il a appris à lire tout seul dans un livre trouvé par hasard (les livres ne sont pas si bien cachés que ça, ils sont oubliés). Robert Spofforth est le doyen de l’université mais c’est le chef, disons-le : il dirige le monde. C’est le robot le plus perfectionné qui existe, un classe 9.  C’est aussi le clone d’une humain qui a vécu il y a longtemps et dont il voudrait retrouver les souvenirs enfouis.
Mais Spofforth n’est pas humain ; il ne peut pas se reproduire, il ne peut pas mourir non plus. Il va exercer son pouvoir : il refuse que la lecture soit enseignée, ce serait un crime. Il demande à Paul Bentley de décrypter les textes qui figurent sur de vieux films muets.
La vie de Paul change.
Il se prend au jeu. Découvre des concepts. Et quand il finit par rencontrer Mary Lou, une femme étrange qui habite dans le zoo, sa vie  bascule. Celle de Mary Lou aussi. Celle de Spofforth, on le verra ensuite, va changer.
Ce roman est brillant de bout en bout : suivre les personnages, leur apprentissage, leur évolution.
Il y a peut-être quelques longueurs vers le milieu avec un événement qui casse le rythme mais je n’ai pas trouvé cela très gênant.
J’avais beaucoup apprécié le Jeu de la dame, eu plus de mal avec L’homme tombé du ciel mais j’ai retrouvé l’alchimie qui m’avait attirée dans le 1er dans celui-ci. De la bonne SF

 « J’éprouvais un certain plaisir à découvrir les choses que les livres pouvaient dire à l’intérieur de mon esprit… Je ne me suis arrêté qu’après avoir appris tous les mots des quatre livres. Plus tard, j’ai mis la main sur trois nouveaux livres, et ce n’est qu’alors que j’ai vraiment su que l’activité à laquelle je me livrais s’appelait « lire ». « 

L'Oiseau moqueur par Tevis

 

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Premières lignes – 21 septembre

Premières lignes 

« Le grand Achille. Le brillant Achille, le bouillant Achille, le divin Achille… Comme les épithètes s’accumulent ! Nous ne l’appelions jamais par aucun de ces noms ; nous l’appelions « le boucher ».
Achille au pied léger. Voilà qui est plus intéressant. « 

Le silence des vaincues est un livre que je voulais lire depuis plusieurs mois – et pour cause : c’est une réécriture de la guerre de Troie, de point de vue de Briséis.
Je dois dire que j’ai un faible pour ce genre de réécriture (quand elles sont bien faites). J’ai aimé suivre Cassandre dans La trahison des dieux (malgré les défauts du roman de MZ Bradley) ou Andromaque dans Troie de David Gemmell (le personnage est formidable dans la trilogie de Gemmell).
Bien sûr, d’une autre façon, Le chant d’Achille est un roman remarquable. Mais Madeline Miller sait revisiter l’Antiquité comme personne…
Ici, on suit surtout Briséis qui sera le fil conducteur et le principal point de vue — hélas, pas le seul. Arrachée à sa vie, kidnappée, elle connaît le même sort que les autres femmes : elle devient le trophée d’Achille qui la regarde à peine, la met dans son lit et se sert d’elle. La guerre est déjà bien entamée et le camp des Grecs a eu le temps de s’installer sous les remparts de Troie. Il existe une organisation bien rôdée.
Les soldats et les chefs de guerre ont leurs « femmes »,  celles qu’ils ont réduites en esclavage en faisant des incursions dans les terres aux alentours. Ils les côtoient, les malmènent. Certains semblent mener un simulacre de vie domestique. On partage la cabane/la tente, des  enfants naissent. Les femmes exercent des « professions » : elles aident à l’infirmerie, à la cuisine, etc…
Et pourtant, ces femmes n’ont aucun statut, aucun droit. A tout moment, elles peuvent être données/vendues à un autre, blessées, violées, tuées.
Briséis, une jeune femme qui fut reine, connaît la même vie ainsi que ses camarades. Achille, quant à lui, est un monstre d’égoïsme. Et, à la fois, il est dépeint comme un fils qui recherche sa mère.
Le roman est assez immersif sans voyeurisme pour autant. L’autrice ne s’appesantit pas sur les viols, sans les nier non plus. C’est donc bien dosé : pas de descriptions malsaines. Mais la réalité des violences, le climat lourd, la présence de la guerre, tout cela reste présent.
L’importance du silence des femmes, du fait que Briséis n’a pas voix au chapitre, est bien rendu. Le seul bémol, à mon sens, réside dans le choix de l’autrice de basculer à un moment vers le point de vue d’Achille (alors qu’elle avait privilégié le point de vue de Briséis). L’effet n’est pas très cohérent et, surtout, n’amène pas grand chose au roman, au contraire. En gros, on n’a pas envie de savoir ce que pense ou ressent l’un des bourreaux, les indices nous étant donnés via le ressenti et la vision de Briséis.
C’est un peu dommage même si cela n’entrave pas la lecture.
Un bon roman, donc.

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