Premières lignes – 18 juin

Premières lignes

La Nuit, Elie Wiesel

 

Je promets que je ne le fais pas exprès, mais mes lectures ont des liens en résonnance profonde avec l’actualité ; surtout avec ce qui se passe en France.
Bingo, alors que nous apprenions les résultats des élections européennes et la montée des votes pour l’extrême droite chez nous, j’avais dans la main un livre glaçant qui restait dans ma PAL depuis quelques temps (hérité de ma fille qui l’avait eu au programme au lycée).  Sur ces entrefaites, pendant que nous apprenions avec pire que stupeurs et tremblements (je plagie Amélie Nothomb, pour la formule)  la dissolution de l’Assemblée Nationale et donc, des élections législatives à venir, je lisais un récit autobiographique qui nous parle de la montée de l’extrême droite, de façon légale dans un pays menacé de toutes parts par le fascisme, pays qui est, à l’heure actuelle, dirigé par un chef d’état autoritaire : la Hongrie.

Le jeune Eliezer, dit Elie Wiesel, est  un ado juif de quinze ans  à Sighet. Il vit avec sa famille, ses parents et ses soeurs. Il veut étudier la Kabbale et fréquente assidûment la synagogue, mais surtout  Moshé-le-Bedeau (chamess en yiddish). C’est un homme apprécié qui est responsable de l’entretien de la synagogue hassidique de la ville.
L’Histoire est en marche…
Sighet déjà soumise aux dictatures carliste roumaine en 1938 est sous domination hongroise. La Hongrie se plie aux lois antisémites. Une première déportation des Juifs de Sighet a lieu.
Pour les proches du jeune ado, pas de répercussions directes.
Pourtant, Moshé-le-Bedeau et d’autres  sont  déportés en Galicie, dit-on. La communauté juive pense qu’ils sont partis travailler.
Mais Moshé réapparaît, transformé, atterré :  « Il ne chantait plus. Il ne me parlait plus de Dieu ou de la Kabbale, mais seulement de ce qu’il avait vu13. » Il raconte les choses terrifiantes qu’il a vues. Néanmoins, on a du mal à le croire :  « Il devenu fou ». Elie va lui parler, lui demande pourquoi Moshé tient tant à être cru?
Moshé répond « J’ai voulu revenir à Sighet pour vous raconter ma mort. pour que vous puissiez vous préparer pendant qu’il est encore temps ». Nous sommes fin 1942.
Le temps passe en 44, , la communauté juive croit en la défaite de l’Allemagne. « Hitler ne sera pas capable de nous faire du mal, même s’il le veut (…) Exterminer une population dispersée à travers tant de pays ? Avec quels moyens ? Et en plein vingtième siècle ! »

, craignant que la Hongrie ne conclue une paix séparée avec les Alliés, l’Allemagne nazie déclenche l’opération Margarethe et envahit le pays. Jusqu’alors,  le régent Miklós Horthy  collaborait avec l’Allemagne tout en restant réticent. Il est assigné à résidence,  un gouvernement fasciste est instauré. Le régent nomme  le chef des Croix fléchées Ferenc Szálasi comme Premier Ministre.  Szálasi, pour faire court,  promettait que la Hongrie retrouverait sa grandeur (si ça ne vous parle pas…) et jurait que les plus pauvres, les  paysans, deviendraient prospères. Les années qui suivent l’installation de ce régime sont marquées par un émiettement du pays. Les déportations massives débutent.
C’est ce qui va se passer à Sighet. Au début, on entend dire que des Allemands vont venir s’installer dans la ville.

C’est la  peur. Mais des « optimistes » clament : « Les voilà vos Allemands . Qu’en pensez-vous ?  » Ils sont polis, ils offrent des boîtes de chocolat.
Ce qui fait écrire à l’auteur : «  Les Allemands étaient déjà dans la ville, les fascistes déjà au pouvoir, le verdict était déjà prononcé et les Juifs de Sighet souriaient encore ». « L’étoile jaune ? Eh bien, quoi ? On n’en meurt pas… »
Le ghetto de la ville contient près de 13 000 Juifs.  Les événements qui suivent vont très vite. On parque les Juifs dans un plus petit ghetto, étoile jaune, et enfin, les transports…
Finalement, on fait monter Elie et sa famille dans les trains. Sans eau, sans nourriture sauf celle qu’ils ont sur eux. Les gens perdent la raison, meurent… Une femme ne cesse de hurler :  » « Juifs, regardez ! Regardez le feu ! Les flammes, regardez ! » On la fait taire, on la bat.
Pour finir, le train arrive à destination :
« Et comme le train s’était arrêté, nous vîmes cette fois des flammes sortir d’une haute cheminée, dans le ciel noir »
Là, on les sépare, hommes et femmes. C’est la dernière fois que le garçon voit sa mère et ses soeurs.
Resté avec son père, un homme leur suggère de mentir : le père d’Elie est plus jeune et lui, a déjà 18 ans.
Puis, le père et le fils  sont transférés depuis Auschwitz II-Birkenau vers Monowitz-Buna. 
Ils travailleront, sans presque rien à manger. La survie, il n’y a plus que cela. L’adolescent sortira des camps, mais ne sera plus jamais le même.
Le style est tendu, bref, sans fioritures. On bascule dans l’horreur ordinaire. Tout ça parce que beaucoup pensaient que rien n’arriverait, que le fascisme, c’était abstrait.
Le livre résonne longtemps, même une fois refermé.

Ce livre est nécessaire.

La nuit par Wiesel

 

Les blogueurs et blogueuses qui y participent aussi :

Premières lignes – 6 juin

Premières lignes 

« Tout a l’air si réel. Face à lui, un hêtre au tronc énorme grandit, perçant le sol dans un grand fracas, déployant ses branches feuillues. L’odeur de mousse et de terre humide lui assaille les narines. Les lits des autres blessés ont disparu dans ce bois lugubre, soudain écrasé par le silence. Antoine se dresse, repoussant ses draps. Il projette ses bras en avant pour se protéger. Ses deux bras. Comment est-ce possible ? Puis, tandis que son esprit cherche à comprendre ce qu’il voit, deux mains aux longues griffes noires surgissent du hêtre, puis des bras, brisant le tronc de l’arbre centenaire. »

Hasard : j’écris cette chronique le 6 juin 2024, date anniversaire des 80 ans du débarquement en Normandie, mais c’est d’une autre guerre que traite en grande partie ce roman jeunesse, la Grande guerre.  Dans les deux cas, j’ai une pensée pour ma grand-mère maternelle qui avait fui la Normandie et qui, elle, avait pu me raconter les histoires des anciens, ceux qui avaient vécu les autres atrocités des tranchées.

Je reviens à ma lecture, un envoi fait par les excellentes éditions Gulf Stream (je ne dis pas ça parce qu’elles sont nantaises), et qui paraîtra au mois d’août prochain.
Le chemin de la dame débute quelques années avant le déclenchement des hostilités. , On fait la connaissance de trois enfants d’une dizaine d’années :   le doux et sensible Antoine régulièrement victime de violences de la part de son père, son ami  Michel, toujours à rire et profiter de la vie et  Lucie, soeur aînée de Michel, énergique et puissante dès son jeune âge. Le trio va faire une très étrange rencontre une nuit, près de leur village de l’Ouest de la France:  la Dame Verte.
Qui est-elle ? Une légende, un esprit vengeur, une femme qui aurait existé ?
Mais voilà : la Dame Verte jure d’exaucer un voeu. Et Antoine découvre en rentrant chez lui que le père qui le bat a succombé à une attaque. Coïncidence ?
Les années passent. Nous retrouvons Michel et Antoine dans les tranchées, frôlant la mort tous les jours.  Michel est fiancée à Hélène, une fille de notable, qui lui écrit régulièrement. Lucie, elle, effectue tous les travaux de la ferme et échange une correspondance avec son ami Antoine.
Soudain, le pire arrive. Un obus explose. Michel meurt. Antoine est amputé d’un bras et retourne au hameau. C’est alors que le roman bascule peu à peu dans le fantastique…
Alternant les points de vue, l’autrice nous embarque dans une histoire haletante et chargée d’humanité.
Les liens d’amitié, le rejet/l’acceptation de l’autre, qu’il soit différent ou handicapé,  la place des femmes, le poids de l’histoire ou des secrets enfouis, ce ne sont que quelques thèmes qui émergent dans ce roman que je n’ai pas réussi à lâcher une fois immergée dedans.
L’origine de la  légende de la Dame Verte est expliquée à la fin. Certains passages sont particulièrement bien écrits, poétiques et émouvants à la fois. C’est une réussite.
Il est conseillé aux ados (15+).
Guettez sa sortie en août !

Le chemin de la dame par Pichot

Les blogueurs et blogueuses qui y participent aussi :