Les faits durables – Emmanuèle Jawad

 

 

Poète, Emmanuèle Jawad creuse la langue jusqu’à obtenir une prose trouée, lacunaire, allégée des vides du discours. Touchés par ce travail de fragmentation, les mots éclatent de polysémie, ils s’entrechoquent et se frottent les uns aux autres dans un crépitement de significations. L’histoire qu’ils délivrent a trait à l’emprise du genre, aux stratagèmes à déployer pour s’en déprendre. Elle s’illustre de faits aléatoires et têtus, aux effets durables. « RÉPERTORIER LES ÉVÉNEMENTS DE SON TEMPS N’ENTAME EN RIEN LA FICTION »

les faits durables rassemblent :

des faits ,des effets, les effets de …

C’est donc un recueil de poésie dont je vais parler aujourd’hui – recueil que j’ai reçu après avoir participé à l’opération Masse Critique de Babelio.
 Je remercie Babelio et les éditions iXe que j’ai eu le plaisir de d’apprendre à connaître.
A propos de la poésie du XXIème siècle:
« Héritière de la poésie de la fin du 20e siècle, diverse, innovante, libre, la poésie de cette première décennie du 21e siècle se montre dynamique, agitée. Elle échappe aux courants, mais laisse entrevoir des tendances : celle d’un renouveau du lyrisme et celle d’une poésie d’expérimentationproche des arts plastiques. Elle tente d’exprimer la réalité du monde sensible.Tout comme les surréalistes et les grands noms du 20e siècle comme Char, Ponge, Michaux, certains poètes contemporains conçoivent encore leur art comme une expérimentation audacieuse sur le langage au service du sens. Le lecteur est invité à décrypter patiemment le texte pour comprendre son sens. (Christian Prigent, Anne-Marie Albiach, Valère Novarino, Jean Daive…)
b. Entre les contraintes et les libertés
Ils poursuivent le travail de recherches formelles, (parfois ludique) qui consiste à créer un espace d’observations et d’innovations pour le langage.  « 

Emmanuèle Jawad décortique le langage, la phrase, pour mieux la reconstruire, s’exprimer, dire (ici: dire les faits).

Pas de rimes ni de ponctuation, ici, mais des listes, des énumérations, des juxtapositions audacieuses. On pense à Tristan Tzara (dadaïsme), aux surréalistes, aux  Calligrammes d’Apollinaire, ou aux poètes de l’OuliPo. Il y a une grande liberté: blancs typographiques, mots isolés sur la page, déconstruction, collection de faits divers.

C’est une lecture déconcertante car nous sommes nombreux à avoir été formatés selon le modèle « j’ai lu et analysé de la poésie à l’école ». Mais, une fois le moment de surprise dépassé, la découverte des mots d’Emmanuèle Jawad est intéressante.
J’ai accompagné ma lecture de sa voix, lisant certains de ses poèmes. L’idée était bonne: une fois dits, une fois le rythme posé, les mots prennent tout leur sens.

Parce que j’aime découvrir, aller vers de nouveaux territoires, parce que j’aime la poésie en général, j’ai largement apprécié ce recueil.

 

Pour ceux/celles qui ont envie:

  • de découvrir une autre forme de poésie
  • de s’initier à la poésie du XXIème s.
  • de se laisser surprendre
  • d’aller au-delà des apparences

Un conseil :

  •  l’écouter,  pas seulement  lire.

 

«la voix d’une tonalité grave ne l’autoriserait à s’exprimer publiquement un trouble visuel se dégage : les épaules larges le torse sans poitrine apparente la pilosité légère au-dessus de la lèvre supérieure son déplacement»

«des contestations empruntent les voies urbaines TunisLecaireLisbonneLondresMexicoTelAvivNewYork»

«L’enquête révèle que les convois d’animaux empaillés furent dans un premier temps expédiés par la victime au musée de la Chasse et de la Nature par erreur…»

► Emmanuèle Jawad lit des extraits des Faits durablesPour l’écouter, cliquer ici.

► une recension sur le site de la revue web libr-critique

 une autre de Alain Helissen

« Le parcours d’écriture tente ainsi de se faire peu à peu, au regard des écritures qui balisent, sous une pluralité de formes, le champ poétique contemporain, dans leur lecture assidue et l’exploration de ces écritures travaillées par la radicalité et l’expérimentation, d’autres traversées par un réel plus intimiste que social et critique ou se situant encore à leur jonction.
L’écriture, dans ses recherches et ses tentatives, ne peut se faire que dans la fréquentation des écritures d’aujourd’hui, qu’au regard de ces pôles de références dans le domaine poétique : pôle dans une visée objective radicale dont l’écriture poétique rejoint une forme de minimalisme neutre, dans une recherche de langue plate travaillée par les faits et pôle vers un réel se portant dans une désarticulation formelle où la désarticulation du monde peut alors faire corps avec celle du langage. »
(Emmanuèle Jawad, Traces de ces flux, dossier « Ecrire aujourd’hui », Diacritik, 2016)
les faits durables, ixe, 2012